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« Ce n'est pas à nos concurrents qu'il faut s'en prendre, c'est à nous-mêmes ! (Ville, Rail et Transports - 24/02/2010 - p. 8 et 9)

Pour la première fois, le nouveau président de la FIF (Fédération des industries ferroviaires), qui a passé ses premiers mois de mandat à rencontrer les différents acteurs de la filière, livre son analyse des atouts et des faiblesses du secteur ferroviaire français. Le sénateur-maire de Cagnes-sur-Mer, qui se présente volontiers comme un néophyte éclairé dans les transports, dresse un portrait sans complaisance des enjeux pour la filière et propose un Grenelle ferroviaire européen.

Ville, Rail & Transports : Après quelques semaines à la tête de la FIF, quelle est votre première analyse de la situation concurrentielle de l'industrie ferroviaire française ?

Louis Nègre : L'Asie, Japon, Chine et Corée du Sud en tête, est en train de débarquer en Europe. Avec son livre Quand-la Chine s'éveillera... le monde tremblera, Alain Peyrefitte nous avait prévenu, et on ne l'a pas entendu. Ce n'est pas une projection, c'est la réalité des comptes : les Chinois sont le premier exportateur mondial et ils ne le sont pas uniquement en vendant des T-shirts. Les autres acteurs asiatiques sont tout aussi actifs. Il suffit d'aller à Dubaï : la tour est sud-coréenne et le métro automatique est japonais ! Il est plus que temps de réagir et de se mettre en ordre de bataille ! En Angleterre, l'Asie est entrée dans le pré carré européen. Devrais-je crier au scandale parce que des Européens ont choisi d'acheter des trains japonais ? La réponse est non, car ils avaient sans doute de bonnes raisons de les choisir. Ce n'est pas à nos concurrents qu'il faut s'en prendre, c'est à nous-mêmes ! Le pire serait de nous mentir à nous-mêmes sur la réalité de la situation.

Ville, Rail & Transports : La filière ferroviaire française serait-elle en train d'être dépassée ?

Louis Nègre : Notre atout à l'export, c'est la SNCF Quand elle bat le record de vitesse avec Alstom, le monde entier a les yeux braqués sur nous. Mais quand la référence du système ferroviaire français se porte moyennement, accumule les retards et mène des combats d'arrière-garde, c'est toute l'image de la filière qui se dégrade. Mon analyse de la situation n'est pas mirobolante : la SNCF fait vendre, mais de moins en moins. Il y a un risque que la SNCF et l'industrie française se portent plus mal demain qu'aujourd'hui. En tant que nouveau président de la FIF, je souhaite que le pôle ferroviaire français regagne des couleurs. La France ne peut plus se permettre d'être arrogante, de dire « je suis le Phoenix des hôtes de ces bois ». Il nous faut un pôle France qui comporte l'ensemble des acteurs de la filière, il faut se mettre en ordre de bataille.

Ville, Rail & Transports : Mais alors, que faire ?

Louis Nègre : On peut ignorer le danger, prétendre que si l'on perd c'est parce que l'on est victime de coups bas et se montrer protectionniste. Il ne faut pas être naïf, on sait bien que le Japon ferme son marché. Et l'on ne veut pas jouer avec des cartes biseautées. Mais à partir du moment où il y a réciprocité, on doit ouvrir le marché ! Fermer le marché, cela peut donner un ballon d'oxygène, mais cela ne tient qu'un temps dans le cadre de la mondialisation. Il faut faire une analyse réaliste de la situation sans se déguiser la vérité. Dans ce processus, l'Etat doit jouer son rôle. Il faut créer un pôle ferroviaire français plus coordonné. Il faut faire en sorte de développer une vraie filière qui fasse appel aux grands industriels, mais aussi aux sous-traitants, et mette l'accent sur la recherche et l'innovation. On a des capacités, mais il faut accepter le combat. Et le fait d'accepter le combat va nous mobiliser, et nous faire réagir. Les Gaulois ne sont jamais aussi bons que quand on les titille.

Ville, Rail & Transports : La solution se trouve-t-elle à l'échelon français ?

Louis Nègre : On aura beau se rassembler entre Français, le rapport de force risque d'être inégal, la masse critique n'est pas suffisante. J'aimerais créer un vrai partenariat avec le numéro un mondial du ferroviaire, l'Allemagne, et avec les autres européens. La France ne peut gagner qu'avec l'Europe. Créons un moteur franco-allemand ferroviaire avec l'aide de la Commission européenne, de l'Agence ferroviaire européenne et de toutes les bonnes volontés européennes.

Ville, Rail & Transports : Mais avec les Allemands, c'est la méfiance qui prévaut : Siemens semble avoir cessé d'avoir des espoirs sur les grands appels d'offres de la SNCF et Alstom n'est pas toujours le bienvenu dans les Länder allemands...

Louis Nègre : Il y a du protectionnisme des deux côtés de la frontière. Mais il se trouve que nous avons un adversaire commun qui arrive, et c'est un appel au bon sens que je fais. Dépassons nos clivages, laissons le passé au passé, mettons-nous autour d'une table et créons une commission ferroviaire franco-allemande intégrant les industriels, les opérateurs, les gestionnaires d'infra, les autorités de régulation et les Etats. Il faut que nous organisions un Grenelle ferroviaire européen.