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Spécial Innotrans. Où va l’industrie ferroviaire française (Ville Rail & Transports – F.D. - Septembre 2014 - p. 36-37-38-40)

Le 22 juillet, Hitachi a présenté à Londres sa gamme de rames automotrices électriques. Destinées en un premier temps au marché britannique, elles sont conçues pour gagner l'Europe continentale. Après les trains à grande vitesse pour la desserte du Kent, un nouveau défi est lancé aux constructeurs européens. Pourront-ils résister à la concurrence d'une industrie japonaise rompue au transport de masse, alignant des performances inégalées en termes de régularité ou de fiabilité ?


En juillet aussi, le chinois CRCC (China Railway Construction Corp.) remportait un contrat de construction de 150 km de lignes pour le métro de Moscou. Car la concurrence mondiale ne se fait plus seulement sur les matériels mais sur les infrastructures.


Le décor est planté. On a vécu longtemps dans l'idée qu'il y avait trois grands constructeurs mondiaux, Alstom, Siemens, Bombardier. Et que c'était peut-être un de trop. Aujourd'hui, les trois grands sont pris en tenaille. De plus gros qu'eux sont apparus : CSR et CNR, deux Chinois. Le Japonais Hitachi a implanté au Royaume-Uni le siège de son activité ferroviaire. Parallèlement, en Europe même, des constructeurs de taille plus modeste, pesant toutefois de 1 à 2 milliards d'euros de CA, ont une influence considérable sur le marché en se mettant à l'écoute des « petits » clients : le Suisse Stadler, le Tchèque Skoda, les Polonais Solaris et Pesa, les Espagnols Caf et Talgo, l'Allemand Vossloh. Une autre raison pousse à la baisse des prix : alors que les Espagnols s'étaient lancés dans d'énormes efforts d'équipement et renforçaient leur industrie ferroviaire, la violence de la crise a conduit à l'interruption des programmes dans la péninsule. Les industriels ou les ingénieries, en surcapacité, arrivent « comme des morts de faim » sur le marché mondial. Dans une moindre mesure, n'est-ce pas ce chemin que prend le secteur en France ?


En Allemagne, le ferroviaire résiste, avec un CA de 10,4 milliards d'euros pour l'industrie, le double de celui des industriels français. Et un carnet de commandes bien rempli. « Les Allemands sont sur une autre planète », soupire-t-on à la Fédération des industries ferroviaires. Mais, en France, tout le monde a l'air d'accord pour dire l'heure est grave. Il faut se mettre en ordre de marche. C'est maintenant ou jamais. Plus précisément, on entend : nous avons cinq ans devant nous.


La vente à General Electric des activités énergie d'Alstom laisse Alstom Transport un peu seul. Ce n'est pas un problème, assure l'industriel. Il n'empêche. Alstom va devoir stabiliser son capital. Sinon de bons experts prédisent qu'il ne résistera pas à l'offensive d'un prédateur. Pour caricaturer ce qu'on entend dire le plus souvent ; soit il renforce son partenariat avec le russe TMH, soit il se fait avaler un jour ou l'autre par un Chinois. Pas question pour autant de nier les succès industriels d'Alstom, qui a enregistré dernièrement une commande historique de 600 trains de banlieue, pour 4 milliards d'euros, en Afrique du Sud. Mais, selon un observateur, sur les segments de marché, «Alstom a perdu des places à peu près partout; et il est souvent à contretemps sur les segments en développement ». Il faut dire que l'attelage avec l'opérateur historique ne l'aide pas énormément. L’état du fret national ne pousse pas à l'investissement dans les locomotives. Sur le service (SAV, deuxième monte, maintenance), Alstom est tout petit Car pour l'essentiel de ces activités, les opérateurs historiques de transport, RATP et SNCF, conservent leurs positions industrielles. Il y a bien des trams mais Alstom n'a pas de vrai marché intérieur, sur un segment en forte croissance qui représente 30 à 40 % du marché mondial. Difficile de faire état de son savoir-faire quand on n'a pas de vitrine nationale. En trains classiques, pour des raisons identiques, le constructeur n'a pas de produits TET à 200-250 km/h. Sur les métros automatiques, il est présent, mais plutôt outsider, alors que le secteur connaît une croissance à deux chiffres. En grande vitesse, l'image reste bonne mais il y a beaucoup de concurrence. Et le marché n'est pas considérable. On connaît les difficultés de la SNCF, qui, assure-t-on, « ne veut pas du TGV du futur ». En interne, si jamais la SNCF se résout à acheter, elle n'a pas arrêté sa position. Au sein de l'entreprise, la direction du Matériel et SNCF Voyages ont des approches différentes. Culture technique d'un côté, de l'autre, prix à la place. Les arbitrages ne sont pas rendus.


Aussi, redoute le monde industriel, si la crise des TGV n'est pas réglée (et comment le serait-elle ?), il y a un risque de rupture de la chaîne de production. Une date circule. La SNCF s'apprête à repousser à 2022 au plus tôt l'achat de nouvelles rames. Sans difficulté. Sans même aller jusqu'à la position maximaliste : 228 rames sur 400 suffiraient à desservir un réseau noyau limité aux LGV Et si on considère que le parc est excédentaire, il suffit de radier les rames à mesure qu'elles viennent à obsolescence. Résultat, dit un proche du dossier, Alstom pourrait être conduit à fermer son bureau d'études grande vitesse dès 2016. Il ne peut plus être question de se gargariser avec l'expression : « TGV du futur l'activité en France du fleuron de l'industrie nationale ne reflète donc pas la structure du marché mondial. Oui plus est, ça tire un peu dans tous les sens. Lors des dernières années, l'évolution du système, avec ses transferts de savoir-faire entre SNCF et industriels, s'est traduite par de moins bons partages d'expérience. La réforme ferroviaire qui vient d'être votée ne convainc guère que la SNCF La constante inexistence de politique des transports laisse la SNCF mener le jeu ferroviaire en fonction de ses intérêts de groupe multimodal. L’Etat prétendu stratège raconte des balivernes (TGV du futur, relance du fret !). Fer de France, qui regroupe toute la profession, au sens large, ingénieries, autorités organisatrices, exploitants, gestionnaires d'infrastructures, industriels, a donc fort à faire pour que ce petit monde coordonne ses énergies afin d'aller, comme on dit, chasser en meute sur le marché mondial. En attendant, les industriels tirent comme ils le peuvent leur épingle du jeu, en comptant un peu sur le marché national... Un peu, beaucoup, mais pas trop.


Il y aurait pourtant beaucoup à faire. L’état général du réseau n'est pas brillant. Ne parlons pas de l'Ile-de-France. Comme le dit le récent Cahier des ingénieurs et scientifiques de France, intitulé « La filière ferroviaire française à la croisée des chemins », en note et par litote : « le réseau RER d'lle-de-France n’a pas actuellement des performances qui en font une vitrine attractive à l'international ». Un espoir, bien sûr : « le programme de rénovation mis en place devrait y remédier ». A condition qu'il soit financé. Or, les grands travaux (même de modernisation) sont en mal de financement Le remplacement de l'écotaxe par un péage de transit poids lourds va se traduire par des rentrées dans les caisses de l'Afitf diminuées des deux tiers : 300 millions d'euros par an au lieu de 900. La redevance complémentaire sur les nuits d'hôtel destinée à aider le financement du Nouveau Grand Paris avec 140 millions d'euros par an, n'a finalement pas été votée, mais il paraît que la ressource sera dégagée à l'automne. L’Etat va supprimer d'ici deux ans 10 milliards de dotation aux régions... Un bon point tout de même, le vote au détour de la loi ferroviaire d'un VT interstitiel qui doit rapporter à ces mêmes régions 450 millions d'euros. Résultat ? On croit encore au Grand Paris. Pour le reste, « c'est le désert », dit le PDG d'un grand groupe d'ingénierie. Le troisième appel à projets pour les transports des villes de province n'est toujours pas lancé. Les élections municipales ont causé des dommages terribles à des projets. Le téléphérique de Brest, une nouvelle ligne de métro à Lyon, les tramways d'Amiens, de Caen, d'Au bagne, d'Avignon, une nouvelle ligne à Toulouse et à Angers sont abandonnés ou remis à des jours meilleurs.


Pour sa part, la FNTP s'alarme dans une note de conjoncture de mai, publiée fin juillet de la baisse de l'activité. La fédération des travaux publics pronostique « que 2014 sera la plus basse année depuis 1998. » De mai 2013 à mai 2014, le nombre de lots faisant l'objet d'appels d'offres en travaux publics a baissé de 23 %. L’ingénierie tire aussi le signal d'alarme, ce qui est grave pour la suite, le secteur étant en amont des opérations.


Pour aller jusqu'au bout d'un tableau bien sombre, on connaît la faiblesse du tissu industriel français, moins dense, moins stable que le tissu allemand. Le grand souci, c'est de faire émerger des entreprises de taille intermédiaire. Il y a bien Faiveley, le franco-allemand VosslohCogifer, etc. En tout une dizaine d'entreprises seulement dépassent la centaine de millions de CA, rappelait lors d'un récent colloque Jean-Pierre Audoux, le délégué général de la Fédération des industries ferroviaires. Les grands ensembliers sont régulièrement pointés du doigt du fait de leur politique d'achats qui étrangle les fournisseurs. Alstom du moins et Bombardier. Pas Siemens, jugé, à l'allemande, beaucoup plus respectueux du tissu industriel national. Pour conforter la filière, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait annoncé lors de l'inauguration du TGV Rhin-Rhône la création d'un Fonds de soutien aux équipementiers ferroviaires, qui devait être doté de 100 millions d'euros. C'est ce qui a donné naissance à Croissance Rail, géré par la BPI et les industriels, doté de 40 millions. Mais Croissance Rail, supposé donner un coup de pouce au développement des ETI (entreprises de taille intermédiaire) a du mal à signer son premier contrat. Les PM E n'ont pas forcément envie de se marier... Et puis, une enquête faite auprès des grands donneurs d'ordre (SNCF, RFF, RATP, Alstom, Bombardier) a montré que ceux-ci n'étaient pas trop demandeurs de l'émergence de telles entreprises, à une exception près, seul dénominateur commun : l'aménagement intérieur. Pour le reste - par exemple les activités de câblage-multiplexage -, certains des donneurs d'ordre préfèrent assurer le travail en interne.


Allons donc pour l'aménagement intérieur ? Mais on n'a pas l'air d'être sur la voie d'une ETI. Trois entreprises se détachent. La première, Compin, connaît de grandes difficultés depuis des années. Elle a décroché fin 2013 un important contrat qui la remet en selle. Ce qui ne veut pas dire que l'avenir soit dégagé. CEIT, la deuxième, est en procédure de faillite après, semble-t-il, une phase de croissance trop forte qu'elle n'a pu absorber. La troisième, Sofanor, a été achetée par Barat Sur le papier, ces entreprises sont trop petites pour peser sur le marché mondial (dans les 20 à 30 millions de CA). Ensemble, elles frôleraient le seuil des 100 millions. Mais l'histoire n'a pas l'air de s'écrire ainsi.


Aussi, la Fédération des industries ferroviaires pousse-t-elle à une autre solution : les clusters. En mettant l'accent sur deux points essentiels : l'innovation, à la condition qu'elle ne soit pas purement hexagonale et s'accroche au grand programme européen Shift²Rail, et allant de pair, le marché international, puisque la baisse considérable de la commande publique conduit à prendre le large et à faire valoir ailleurs des compétences dont la valeur n'est plus à démontrer.


Cependant rien ne pourra tenir si la commande publique, même à la baisse, ne s'inscrit pas à un certain niveau. C'est pourquoi le PDG de la RATP, Pierre Mongin, lors d'une journée commune organisée par Fer de France, qu'il préside, et la Fédération des Industries Ferroviaires, a exhorté les pouvoirs publics à ne pas fléchir sur les programmes du Grand Paris. Ces programmes peuvent assurer à la « transprofession », BTP des transports, ingénierie, ensembliers ou équipementiers, exploitants aussi, une planche de salut une fois les quatre LGV en travaux achevées. Et présenter une vitrine incomparable pour l'exportation du savoir-faire.


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